Cindy Millet

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Ajouté le 8 janv. 2017

Réenchanter l’Eros ...


Il nous faut ré-enchanter le Monde … ou bien en ré-inventer un autre, réenchanté ... Mais cela ne pourra s'opérer que par le réenchantement de l'Eros ... l’Eros désir, cette énergie vitale et motrice, cette incandescence, cet ignis, cette énergie sexuelle sublimée, cette puissance autogénératrice et créatrice … l’Eros comme affirmation de la “Volonté de Puissance” au sens nietzschéen du terme ... de cette sève vivifiante qui fait croître la plante et l'arbre, qui fait grandir l'Homme, qui le fait se développer, se dépasser, se libérer, sortir de lui-même pour éclore, se déployer, s'élever vers la lumière, les yeux rivés vers le soleil et les étoiles ...

Or notre monde moderne a entrepris de tuer l'Eros ... en lui donnant du poison à boire afin de le frustrer et le faire dégénérer ... remplacé, par usurpation, par le culte du besoin ... besoin effréné de consommer, consumer ... se consumer ... besoin mécanique et bestial qui, chaque jour un peu plus, avilit, abaisse et "émascule" l'Humanité, la soumet, la rend servile, dépendante, rampante et désespérément vide de pensée et de désirs véritables ... car les hommes en viennent à confondre besoin et désir ... Non, nous ne vivons pas/plus dans une société du désir, mais bel et bien dans une société du besoin ... La première libère, la deuxième enchaîne ... Les Hommes se croient libres là où ils sont dans les fers ... ils croient vouloir par eux-mêmes là où on les détermine à agir ... En vérité, ils n'agissent pas, ils "sont agis" ... ils s'oublient eux-mêmes, perdent leur identité véritable, leur authentique moi, pour s'identifier à leur environnement, à ce que la société attend d’eux, à ce qu’elle leur tend sur les présentoirs ... à tous ces objets de consommation, ce prêt-à-consommer et ce prêt-à-penser ... Ils ne sont alors plus sujets, plus maîtres de leur volonté, mais deviennent progressivement eux-mêmes, par processus d’identification, de simples objets ... objets interchangeables, manipulables, exploitables et jetables à volonté entre les mains de leurs maîtres, de leur gourous, de ceux qui tiennent les ficelles de ce judicieux et impitoyable système ... “Avoir” ... nulle idéologie, nulle religion n’est plus puissante, plus virale, plus fanatique que ce “culte de l’avoir” ... Elle flatte les plus bas instincts, tout ce qu’il y a de plus vil en l’homme (les sept péchés capitaux) ... Avoir toujours plus, toujours mieux, toujours plus grand, plus clinquant, plus à la pointe du « progrès » (ou du moins ce que l'on nous fait passer pour du progrès) ... envier ce que possède le voisin, le "vouloir" à tout prix ... jusqu'à ce qu'on l'obtienne et qu'on s'en lasse, que ce ne soit plus suffisant, plus à la mode ... ils ne sont, par définition, jamais satisfaits ... et donc perpétuellement envieux et frustrés ... Convoitise et jalousie sont le pain quotidien de cette société hyper-matérialiste dégénérée et névrosée, par le jeu de cette effroyable confusion de l'Etre et de l'Avoir ... l'Avoir qui se substitue à l'Etre, qui l’écrase, qui l’étouffe .... Mais dans cette quête effrénée du toujours plus, les esclaves du besoin finiront par se consumer entièrement ... peut-être même finiront-ils par se manger eux-mêmes, si par quelque événement terriblement chaotique, ce bel édifice social et économique, cette bulle de confort et de prospérité illusoires (bâtie sur la grande supercherie du crédit) venait à s'effondrer du jour au lendemain … l'échéance n'est pas si lointaine ... Imaginez donc la réaction d’un toxicomane que l’on priverait brutalement de sa drogue ... imaginez donc cela à grande échelle ... La névrose contenue jusqu’alors sous des apparats de bienséance sociale risquerait fort de se transformer en rageuse et violente psychose (auto-)destructrice, dévastatrice ... une immense crise de delirium tremens magnitude 9 sur l’échelle de Richter ! Finalement, dans de telles conditions, l’humanité est condamnée à se consumer, à s'auto-détruire, progressivement ou plus violemment ... Nul corps, nulle civilisation, nulle humanité ne peut s'épanouir ni survivre sur le besoin et la dépendance ... La toxicomanie mène toujours à la mort ... Le toxicomane remplace son énergie vitale par sa drogue et pour ne pas subir les angoisses et tourments de l'état de manque, il doit toujours et encore un peu plus augmenter sa dose ... jusqu'à ce que le poison le transforme totalement en légume, jusqu'à ce qu'il le ronge, le consume entièrement ... Voilà la maladie dont souffre notre monde, notre Humanité ... Celle-ci est devenue dangereusement toxicomane ... hautement addicte à cette consommation de masse et, avec elle, au crédit, à tous ces pièges de mise en dépendance qui lui sont tendus en permanence, sous couvert de bonheur, de confort, de sécurité, de bien-être, de progrès ... d'alléchants petits paradis artificiels ... qui peu à peu, insidieusement, prennent le contrôle de votre corps, de votre esprit, vous annihilent, vous rongent de l'intérieur, pour vous transformer en véritable zombie ...

Voici venu le règne du Thanatos, par empoisonnement de l'Eros ... L'Humanité ne peut y survivre, à moins de subir une sérieuse cure de désintoxication ... désintoxiquer son Eros, le purifier, le revivifier, le ré-exalter .... L’ Humanité doit réapprendre à trouver en elle-même sa propre nourriture, ses propres ressources, sa propre sève nourricière, se reconnecter à sa source authentique, retrouver le désir, le feu sacré, l’ignis, la puissance d’exister ... Sans cette énergie vitale autogénératrice et créatrice, l’exaltation de cette toute-puissance de l’Etre ... l’Humanité est irrémédiablement condamnée ... telle une plante privée de sève, elle finit par se dessécher et faner ... L'Eros est à l'Humanité ce que la sève est à la plante, ce que le flux sanguin est au corps ... Quand le sang ne circule plus, le corps se nécrose, la gangrène gagne et emporte ... Sans cette énergie vitale, sans ce flux, tout s’éteint, tout se meurt ...

Oui, le réenchantement du Monde (ou cet autre à venir) doit bel et bien passer par le refus et la mise à mort de cette société du besoin (règne du Thanatos) et, au contraire, par la résurrection et l’exaltation de l'Eros, dans sa toute puissance motrice et vivifiante ... un Eros purifié et magnifié, affranchi de tout ce qui le limite, le frustre, le culpabilise, l’enserre, le bride et l’étouffe ... Pour se libérer, l'Homme doit libérer son Eros ... s'affirmer pleinement dans cette soif d'être authentiquement, dans cette puissance d'exister et de désirer, un Eros débarrassé des injonctions sociales et économiques, de toutes idéologies et tous dogmes limitatifs et sclérosants qui le conditionnent, l'écrasent et l’étouffent ... libre d'être, de penser, de créer, de rêver, d’inventer, de désirer, d'aimer, d’irradier le monde de sa lumière ... libre de vivre et d’agir sous sa seule volonté authentique, affranchie de toute autre ... reconnecté à la Nature et à sa nature véritable ... incandescent, flamboyant, le regard rivé vers le Soleil et les étoiles ...

Aleister Crowley ne prétendait pas dire autre chose que cela dans ces trois phrases clés de son “Livre de la Loi” : “Every Man and Woman is a star” ... "Do what thou wilt shall be the whole of the Law. Love is the law, love under will."


Cindy Millet

Créé avec Artmajeur