Ajouté le 1 mai 2015
Quand la vulnérabilité devient force, quand l'insoutenable et cruelle souffrance devient sublime, d'une beauté terrible, puissante et bouleversante... quand l'art se fait catharsis et sublime alchimie ...
La découverte de la vie et de l'oeuvre si singulière de Frida Kahlo a été pour moi une incroyable révélation, un coup de foudre artistique et humain, une formidable source d'inspiration ... L'oeuvre de Frida Kahlo symbolise ce qu'il y a de plus beau et de plus puissant dans l'art, ce pouvoir de transformer le plomb en or ... par la force de l'expression, de l'émotion ... cette sublimation des forces ténébreuses et mortifères en une formidable, lumineuse et invincible force de vie ... la transfiguration et la sublimation du Thanatos par la force de l'Eros ... C'est toute la vie et l'oeuvre de Frida Kahlo qui, malgré sa triste et effroyable condition, ce corps de douleur mutilé et encamisolé, a trouvé dans l'art et l'amour la force de vivre, pleinement, passionnément, intensément, en femme libre, épicurienne assumée, affranchie des conventions sociales de son époque ... une femme qui, au lieu de se résigner à sa condition mortifère, a fait le choix de la dépasser pour croquer la vie à pleines dents et la sentir vibrer en elle ... Et cela, elle y est parvenue grâce à l'art, l'art comme processus cathartique, libérateur, l'art comme thérapie, une thérapie de choc ... Oui, c'est son art qui l'a sauvée, qui lui a donné cette incroyable force, ce courage admirable et déconcertant, ce pouvoir extraordinaire de résistance et de résilience, cette rage de vivre malgré tout. Elle qui voulait être médecin, elle a trouvé dans l'art la plus efficace des médecines, celle de son âme.
Il y a quelque chose de profondément mystique, symboliste et métaphysique dans l'oeuvre de Frida ... cette tension permanente entre l'Eros et le Thanatos, force de vie / force de mort ... ce Thanatos qu'elle ne rejette pas, mais bien au contraire, qu'elle ressent pleinement, qu'elle assume, qu'elle accepte et, plus encore, qu'elle exacerbe au plus haut point, par la force de l'expression artistique, comme pour mieux le digérer, l'expulser, le purger, le transcender ... ce Thanatos qu'elle exprime dans toute sa violence et parfois même dans son horreur, jusqu'à, dans certaines oeuvres, mettre à nu son intimité profonde, son anatomie, ouvrir cette chair meurtrie, la disséquer, à y faire jaillir ses entrailles et son sang et, dans le même temps, toute la charge de ses tourments et émotions ... comme un cri à la fois terrible et sublime, cri de douleur d'une chair à vif, une chair ouverte qui jamais ne se referme, et, dans le même temps, un cri de vie, un puissant et vibrant appel à la vie ... comme le cri de l'enfant qui naît, émergeant des entrailles de sa mère, joint au cri de cette mère accouchant dans la douleur ... cri de souffrance, cri de vie ... la chair ouverte qui saigne pour mieux accoucher ... accouchement d'un enfant fantasmé qu'elle ne pourra jamais avoir ... et, au final, accouchement d'elle-même (voir cette oeuvre très forte et symbolique : "Ma Naissance") ...
Cette oeuvre, cette chair ouverte, ce cri, c'est toute l'histoire de son existence, de ce corps de douleur dans lequel elle se trouve emprisonnée et avec lequel elle doit apprendre à vivre depuis ce jour de ses 18 ans où, victime d'un terrible accident de bus, il s'est brisé, fracassé, disloqué, frappé si injustement et cruellement par le destin, transpercé par une barre de fer de l'abdomen jusqu'au vagin (comme un viol) ... Une histoire qui aurait pu se résumer à une résignation face à la mort, une complainte, une capitulation, un torrent de larmes, un destin subi et l'attente d'une mort imminente ... Mais cette capitulation, elle s'y est refusée, elle la femme si pétillante, passionnée, rebelle, sensuelle, si pleine de vie ... cette souffrance, elle l'a expulsée sur la toile, dans toute sa violence et sa cruauté, non pas pour s'y complaire et s'y enterrer, mais pour mieux se la réapproprier, la dépasser, la sublimer ... oui, sublimer l'insoutenable, l'indicible douleur de l'existence en une beauté déconcertante et bouleversante ... une beauté qui vous prend aux tripes, qui dérange et fascine tout à la fois, jusqu'à vous happer, vous hypnotiser ...
Telle est la toute-puissance de l'oeuvre de Frida, une oeuvre qui, loin d'être mortifère et apathique est en réalité profondément vitaliste ... une oeuvre si singulière, pétrie de symbolisme qui, au-delà de l'expression du tourment, recèle un trésor de vérité sur l'essence profonde de l'Humanité, sur le sens de la vie, une formidable leçon de vie ... "Pourquoi voudrais-je des pieds puisque j'ai des ailes pour voler ?", disait-elle ... tout est dans cette phrase.
Cindy Millet
Bibliographie / filmographie :
Frida Kahlo, la beauté terrible (Gérard de Cortanze)
Pascal, Frida Kahlo et les autres ou quand la vulnérabililté devient force (Charles Gardou)
Biographie de Frida Kahlo (Hayden Herrera)
Frida Kahlo, les ailes froissées (Pierre Clavilier)
Le Journal intime de Frida Kahlo (introduction de Carlos Fuentes, éditions du Chêne)
Frida Kahlo, confidences (Salomon Grimberg)
Frida (film culte de Julie Taymor, avec Salma Hayek)
Frida Kahlo, entre l'extase et la douleur (Anas Vivas, R. Castano Valenda)
Frida Kahlo Viva la Vida (pièce de théâtre écrite par Humberto Robles)